La transformation numérique du bâtiment et des logements est un sujet largement débattu, expérimenté et analysé. En revanche, l’évolution des métiers reste une source d’interrogation pour la filière, soucieuse quant à son avenir et ses nouvelles responsabilités. Le 24 janvier 2020, la Convention Smart Home de la SBA a invité à Obernai des experts de différents horizons pour que chacun apporte sa vision et pour tenter d’apporter des réponses.
À l’heure où le secteur a affiché sa maturité au salon du CES 2020 à Las Vegas, le Smart Home pourrait entrer dans la phase suivante : celle de la standardisation. « Le marché est énorme, lance Godefroy Jordan, Président et cofondateur de SmartHab. 50 milliards de dollars, soit l’équivalent du marché mondial du cinéma et 100 fois celui du vin en Alsace ! La standardisation des technologies Smart Home et l’interopérabilité entre les systèmes sont les clés de la démocratisation et de l’acceptation des solutions domotiques dans les bâtiments. Or, on aura toujours besoin des intégrateurs Smart Building pour les faire fonctionner. Mieux : les GAFA et les grands fabricants de produits Smart Home ont enfin décidé de s’entendre pour mettre en place un protocole commun et permettre à tous les objets connectés de communiquer ensemble dans la maison. Là encore, les GAFA auront besoin des intégrateurs pour les relayer sur le terrain. » Pour Olivier Darnault, CEO d’Ozeo, le marché a déjà ouvert la voie vers la démocratisation des technologies Smart Home : « Des solutions comme Doorbird, Ecojoko ou Logitech se configurent en moins de 20 minutes, rapporte-t-il. Pour la mise en service d’un bâtiment connecté où il fallait 3 semaines auparavant, quelques heures suffisent. Le métier d’intégrateur s’uberise. Néanmoins, quand on pense à l’avenir, les opportunités fondées sur de nouveaux modèles économiques sont nombreuses et enthousiasmantes. » François-Xavier Jeuland, en charge du Smart Home au sein de la SBA confirme : « La filière doit réfléchir à comment accompagner les politiques, les collectivités, les maîtres d’ouvrage… sur la transition numérique et énergétique de leurs bâtiments. Les intégrateurs et les AMO[1] Smart Building ont aussi une carte à jouer pour accompagner les promoteurs et les bailleurs sociaux. Ils en ont besoin. »
[1] Assistance à Maîtrise d’Ouvrage
Apporter de la valeur ajoutée dans le conseil et le service
Franck Vérove, Directeur général de « Design On » ne contredira pas cette vision. « Je ne crois pas en effet que l’on soit prêt à se passer des professionnels, affirme-t-il. J’en veux pour preuve notre tentative de boutique mettant à la disposition des particuliers tous les objets connectés nécessaires au logement intelligent. Ce fût un flop monumental. Ils ont toujours besoin d’installateurs et d’intégrateurs ! Aujourd’hui nous avons ouvert un magasin qui réunit tous les corps d’état dans un appartement modèle connecté, pour apporter les meilleurs conseils et services dans le cadre de la rénovation. À partir du cahier des charges établi en boutique (services attendus, nombre de personnes dans le foyer, etc.), nos intégrateurs montent alors des packs domotiques grand public préprogrammés, que nos clients achètent ensuite sur internet. L’avantage en plus, c’est que s’ils déménagent, ils peuvent emporter leur système. Une solution économique et écologique, qui remporte un franc succès ! » Quand on aborde en plus la notion d’Intelligence Artificielle, les utilisateurs ont encore plus besoin des services d’un professionnel. « Alors que de plus en plus de systèmes Smart Home peuvent être programmés sur la base de scénarios, indique William Simonin, CEO de Vivoka, les utilisateurs ne savent toujours pas paramétrer. Mais au-delà de ce paramétrage, les intégrateurs peuvent aussi guider le choix des solutions selon le contexte, pour qu’elles soient réellement interopérables et qu’elles soient adaptées à l’utilisateur. Une personne âgée par exemple préfèrera un assistant vocal à une caméra jugée trop intrusive ou un bouton poussoir pas toujours à portée de main. Un assistant vocal qui embarquera assez d’IA pour être capable de reconnaître les voix et l’état de stress, de colère ou de faiblesse de la personne pour adapter la réponse. » Ajoutons que l’intégrateur a un devoir de conseil et de réassurance vis-à-vis de son client. Il doit être en mesure de lui expliquer ce que deviennent ses données par exemple. Le conseil a donc encore de beaux jours devant lui.
Accompagner les métiers de demain vers plus de professionnalisation
Confrontée à cette évolution des métiers, la profession prend en main l’accompagnement des intégrateurs Smart Building. Des organismes comme la SBA, AFNOR Certifications ou BICSI[1] jouent ainsi leur rôle, en publiant des normes et des guides. « Partout dans le monde, des entreprises sont convaincues que la valeur passe par des experts, souligne Gautier Humbert, Responsable Europe continentale pour BICSI. Pour les intégrateurs, il est donc important d’être certifiés. Dans cette perspective, BICSI s’est donné pour mission de labelliser des professionnels et d’éditer des documents de référence, pour leur permettre d’évoluer. Nous travaillons par exemple avec l’Alliance Zigbee sur un guide dédié à l’infrastructure sans fil du bâtiment. De même, la rédaction de la deuxième édition du guide 007 ANSI/BICSI est en cours, où une partie sera consacrée au référentiel R2S de la SBA. Les connaissances sont riches aujourd’hui sur le Smart Building, mais elles ne sont pas encore assez partagées. À nous de nous en charger ! »
Accompagner la filière, c’est aussi lui garantir de travailler sereinement dans la durée, avec le soutien d’assureurs. « La filière n’a pas conscience des risques auxquels elle est confrontée avec le numérique, confie Sarah Romeo, Responsable innovation construction chez Marsh. Autrefois, le bâtiment fournissait uniquement l’habitabilité. Aujourd’hui, il offre des services, ce qui échappe totalement à l’assureur. L’intégrateur a plus que jamais une responsabilité vis-à-vis de la notion d’impropriété à destination[2] dans le cadre de la transition numérique dans l’immobilier. Le quatrième flux du bâtiment, le réseau internet, dépend clairement de la responsabilité du risque décennal et pourtant, il n’est pas encore encadré par la loi. L’intégrateur va vouloir se protéger avec une garantie décennale mais l’assureur ne l’a pas définie à ce jour. Vers qui se tourner, dans ce cas, si par exemple le WiFi ne fonctionne pas dans un immeuble ? Une réflexion est amorcée en ce sens dans le secteur de l’assurance pour répondre aux besoins de la transformation du bâtiment. »
Vers l’industrialisation du bâtiment
Démocratiser le Smart Home, conseiller, fournir des services, apporter son expertise… en étant guidé et assuré : les opportunités qui se présentent à la filière sont riches et enrichissantes. « Il convient d’être optimiste et flexible, pour saisir les possibilités qui s’offrent à nous, prédit Franck Sprecher, Directeur de marché énergie et territoires chez EnergieSprong France. En apportant des solutions globales dans le bâtiment et en collaborant avec les autres métiers, nous contribuerons à transformer notre travail technique en performance sociale (contre la précarité énergétique), économique, environnementale et sociétale (en améliorant l’attractivité du territoire). N’hésitons pas à regarder le monde tel qu’il devrait être et disons-nous : Pourquoi pas ? » L’évolution du bâtiment et des métiers est une page importante qui se tourne vers de nouvelles opportunités. Elle nécessitera d’apporter plus de confiance aux acteurs de l’immobilier et aux usagers. « Le secteur a donc besoin de cadre, de référentiels, de professionnels, martèle Emmanuel François, Président de la SBA. Les métiers ont changé avec la force d’internet. Les intégrateurs Smart Building deviennent ainsi les spécialistes qui déploieront l’infrastructure numérique et le Building Operation System dans le bâtiment. Ils seront les garants de la connectivité et de l’interopérabilité dans les immeubles et les logements. » Ces changements dans le sens de la transition numérique ne se feront pas seuls. Ils sont le fruit d’une intelligence collective au service du bien commun. La collaboration est en effet clé pour dynamiser la productivité du secteur de la construction. « Il y a nécessité à faire évoluer les méthodes classiques, soutient Pascal Chazal, CEO du groupe Hors Site. Il est temps que le bâtiment fasse sa révolution industrielle. Il faut pour cela casser les silos et les organisations, pour construire en usine, réduire les délais et apporter plus de régularité. Déjà, Amazon a bâti son usine modulaire, Google construit sa Google Tower et Toyota prévoit de créer sa Smart City. Avec la construction hors site en usine, les corps de métier ne se succèdent plus en subissant les retards des autres. Ils retrouvent le plaisir de collaborer pour construire des immeubles ensemble. Aucun d’eux ne disparaîtra, mais ils évolueront et gagneront des compétences. Quant aux intégrateurs Smart Building, passer du paramétrage sur chantier à la préprogrammation en usine s’opérera forcément avec un gain de confort, de qualité et de confiance. »
[1] BICSI est une organisation indépendante, porteuse de connaissances technologiques pointues, de bonnes pratiques, de règles d’installation, etc. L’objectif est d’informer, en rassemblant les acteurs clés du secteur des infrastructures numériques autour des Technologies du Bâtiment Intelligent.
[2] L’impropriété à destination signifie l’impossibilité pour un ouvrage de remplir la fonction à laquelle il était destiné. C’est un des critères permettant de faire jouer la garantie de responsabilité décennale et l’assurance dommages ouvrage dans le cadre de la loi Spinetta.
Rétroliens/Pings